n°15 - Février 2022

La prairie, cet écosystème délaissé mais essentiel pour la biodiversité

Autrefois florissants, le nombre de prairies en plaines d’Occitanie est en régression depuis les années 1970. Pourtant, elles contribuent à diversifier puis enrichir la faune et la flore d’une parcelle. Les cultures agricoles et l’étalement urbain expliquent la disparition lancinante de ces espaces. Des actions de création de prairies sont entreprises par des associations comme Nature en Occitanie (NEO) et peuvent être intégrées dans le réseau européen Natura 2000.


La prairie humide de Bourret (82) - Photo archives Didier Taillefer/Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne

 

« On pense que c’est toujours mieux d’avoir une forêt plutôt qu’une prairie ». Chargée d’études des zones humides à l’association Nature en Occitanie (NEO), Pauline Quintin connaît bien le sujet. Permanents ou provisoires, ces espaces naturels ou aménagés par l’Homme permettent aux espèces végétales et animales de coexister sur une parcelle en toute quiétude. On y trouve des plantes herbacées, mellifères ou des graminées. Mieux, une prairie favorise la présence, par exemple, d’espèces rares et protégées telles que l’ascalaphe, la huppe fasciée ou de fleurs avec la fritillaire pintade et la jacinthe romaine. Ces diversités faunistiques et floristiques rendent pérenne en ressources la chaîne alimentaire. Selon la chargée de mission, « l’écosystème d’une prairie est plus riche qu’une forêt ». Il existe deux types de prairies : celles qui sont « sèches » et d’autres qui sont « humides » car soumises aux inondations. Dans notre région Occitanie, la répartition de ces deux types de prairie est « équilibrée » d’après NEO. 

Malgré tous ces avantages et les services rendus par la nature (ou appelés « services écosystémiques »), le nombre de prairies en Occitanie décroit. Présentes sur les parties montagnardes ou les coteaux, les prairies situées en plaines « et surtout sur le corridor de la Garonne » sont impactées. « Depuis le remembrement agricole, dans les années 1970-1980, il n’y a plus d’élevage [et les parcelles] se renferment, se reboisent ou sont mises en cultures », explique Pauline Quintin. La monoculture intensive d’origine céréalière ou l’arboriculture a pris le dessus. En parallèle, l’élevage extensif a pratiquement disparu sur les plaines de la vallée de la Garonne. Pour un propriétaire terrien, la solution du reboisement avec du peuplier est plus avantageuse économiquement que d’entretenir une prairie alluviale. Le retour sur investissement est possible entre vingt et trente ans après les premières plantations. Au « second plan » des causes responsables, celle de l’urbanisation avec l’expansion des villes qui accélère la disparition des prairies. Enfin, la perception de ces espaces peut être à l’origine d’un certain délaissement : « c’est un lieu vu comme banal et sacrifié pour l’urbanisation », analyse encore la chargée de mission NEO.

 

« Les prairies sont de gros capteurs de CO2, l’herbe en capte et enrichie les sols »

 

Dans l’Union européenne, la règlementation impose aux États-membres de désigner sur leurs territoires les prairies permanentes qui sont « sensibles » d'un point de vue environnemental et concernées par les directives oiseaux et habitats. Ces zones sont classées Natura 2000 et font l’objet d’une protection. Dans les documents d’objectifs (Docob) consacrés à l’Occitanie, les prairies humides sont intégrées dans le dispositif. Le Docob est un document qui établit (ici par le Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne) un diagnostic environnemental et fixe des actions à mener sur une zone Natura 2000. Dans les prairies humides, la végétation est très sensible aux modifications hydrologiques et est menacée à court ou moyen terme. Pour lutter contre des périls environnementaux, la politique agricole commune (PAC) interdit depuis 2018 de retourner la terre des prairies dites « sensibles » correspondants aux prairies permanentes déterminées sur la base de leur richesse en biodiversité au sein des zones Natura 2000. En Occitanie, l’objectif est de « maintenir des milieux ouverts herbacés, une mosaïque bocagère » et la « priorité 1 » vise le « maintien d’une structure paysagère favorable aux zones d’alimentation des espèces d’intérêt communautaire » (action 116 du Docob Garonne aval/amont). Dans la région voisine, la « fiche action n°2 » du Docob Nouvelle-Aquitaine encourage à restaurer et entretenir les prairies ouvertes par la fauche ou le pâturage.

 

La confluence de la rivière Ariège (à gauche) et du fleuve Garonne (à droite) - Photo archives Didier Taillefer/Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne

 

En Occitanie, NEO noue des partenariats avec des collectivités territoriales (mairies, conseils départementaux et conseil régional) et des particuliers pour réhabiliter des parcelles en prairies. Près de Toulouse (31), l’association est le gestionnaire de la Réserve naturelle régionale (RNR) Confluence Garonne-Ariège. Elle recense 45 hectares sur une superficie totale de 579 hectares. En s’y promenant, vous pourrez rencontrer le butome en ombelle répertorié comme une espèce végétale protégée. Depuis 2020, une friche agricole et un terrain de paintball font l’objet d’une réhabilitation. « Dans deux ou trois ans, ce sera une prairie », espère Mathieu Orth, conservateur de la RNR Confluences Garonne-Ariège. Pour entretenir les prairies de la Réserve et celles de demain, des « partenariats gagnants » sont liés avec « le monde agricole » local. Ainsi, plutôt que de recourir à de la fauche mécanisée qui représente « un coût pour la société » à travers le matériel utilisé et les moyens humains, les gestionnaires du site préfèrent l’éco-pâturage. Moutons, chèvres, brebis, … avec cette méthode, la gestion par pâturage a des vertus écologiques et économiques sur le long terme. Le classement en zone Natura 2000 offre la possibilité pour les porteurs de projet (public ou privé) de co-financer certaines de ces actions via les subventions mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). Pour le moment, ces aides ne sont disponibles uniquement que sur une partie de la rivière Hers en Ariège et aux zones jouxtant le fleuve Garonne en Nouvelle-Aquitaine. Pour Pauline Quintin il est « compliqué, en 2022, de recourir au pâturage ». « Vu qu’il n’y a plus d’élevage à proximité de Toulouse il faut faire venir des bêtes, il faut que le site soit alimenté en eau, le clôturer, surveiller les animaux et le matériel », ajoute-t-elle. Pour faire sortir de terre une prairie, il faut sonder la qualité des sols et déterminer l’histoire de la parcelle mais en moyenne il faut patienter entre « trois et cinq ans ». 

 

Prairie sèche entretenue par éco-pâturage - Photo archives Claire Boscus/Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne

 

À Merville (31), en aval de la Ville rose, le lieu-dit Ramier de Bigorre est une référence en termes de gestion de prairie. En 1989, la forêt alluviale de l’ancienne carrière abritait qu’un seul hectare de prairie. Trente ans plus tard, l’association NEO gère les 33 hectares de domaine public fluvial (DPF) dont 4 hectares en prairie alluviale classée Natura 2000. Aussi paradoxale qu’il puisse paraître, la forêt alluviale est considérée comme une zone humide sauf la prairie où le terrain n’est plus inondé car « [le lit de la] Garonne s’est enfoncé ». L’achat d’une clôture électrique alimentée via des panneaux solaires, d’un abreuvoir, d’un abri, … représente un investissement de 3.000€. Aujourd’hui encore, des visites scolaires et des actions citoyennes sont régulièrement organisées. À l’occasion de la Journée mondiale des zones humides (JMZH), une collecte de ramassage de déchets à la suite de la crue de janvier 2022 est prévue le samedi 12 février.

Le « meilleur levier pour favoriser le retour de l’élevage » et donc des prairies doit passer par « les collectivités territoriales [qui] ont un rôle à jouer ». Certaines d’entre-elles sont déjà engagées mais pour Pauline Quintin, « il faut que cela soit encouragé » à travers des conventions multipartites. Face au dérèglement climatique, toutes les marges de manœuvre doivent être utilisées. « Il ne faut pas sous-estimer la trame verte et bleue, il y a beaucoup d’espèces végétales à protéger », insiste la chargée d’études NEO. « Les prairies sont de gros capteurs de CO2, l’herbe en capte et enrichie les sols », réplique le conservateur de la Réserve et de conclure sur une question de société : « est-ce qu’on souhaite que des champs de maïs ou des champs de lotissements ? ».


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