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Interview du desman : une espèce protégée et endémique des Pyrénées
Endémique des Pyrénées et du quart Nord-Ouest de la péninsule Ibérique, le desman ou «rat trompette» est un petit mammifère semi-aquatique à l'allure atypique. Il possède de grandes pattes palmées ainsi qu'une véritable trompe, le desman des Pyrénées arbore également une longue queue qui lui sert de gouvernail et une double couche de poils parfaitement adaptée aux milieux aquatiques. Cette espèce définie comme prioritaire et à forts enjeux est présente sur la partie pyrénéenne du grand site Natura 2000 Garonne amont. Natura 2000 est partie à la rencontre d'un desman pour en savoir un peu plus sur cette espèce rare et si discrète.
Photo David PEREZ/Wikipédia (creative commons)
Natura 2000 Garonne en Occitanie : Un rat avec un nez en trompette ! Que penses-tu de ton apparence ?
Desman : Ce nez à trompette m’est pourtant bien utile ! J’ai une très mauvaise vue donc grâce à lui je suis capable de me diriger grâce à mes nombreux capteurs tactiles et olfactifs. Les vibrisses situées le long de mon museau sont essentielles pour mon orientation et ma perception. Cela me permet d'avoir une carthographie sensorielle de mon territoire.
La couleur de ton pelage est-elle propre à chaque spécimen ou alors est-elle commune à tous tes congénères ?
Tout d'abord, mon pelage est composé de poils gris-brun, luisant, argentés en dessous, avec une teinte fauve dans la région pectorale et regroupés en petits paquets donnant l'illusion d'écailles. Ces poils me garantissent une très grande étanchéité grâce à un toilettage quotidien avec une substance sécrétée par une glande abdominale. Cette fourrure me permet d'effectuer mes plongées subaquatiques ! Ce pelage est un duvet qui ne se mouille jamais et qui me permet d'économiser le maximum de chaleur grâce à un très grand dynamisme. Mais je suis obligé d'être continuellement en mouvement pour pouvoir chasser mes proies, ce qui entraîne une dépense calorifique supplémentaire.
Pour répondre à ta question, cette caractéristique concernant mon pelage est commune à tous ceux de mon espèce. Toutefois, on note que quelques individus ont une dépigmentation à l'extrémité de la queue qui forme comme un pinceau blanc.
Tu n'es pas très grand, ni imposant. Que manges-tu au quotidien ?
Effectivement, je mesure 20 cm pour environ 50-60 grammes. Ma nourriture se constitue essentiellement de larves et de petits invertébrés. Je suis donc un insectivore et j'ai besoin d'ingérer au quotidien plus du tiers de mon poids en nourriture, soit 20 grammes, pour être en pleine forme !
La larve éphémère (à gauche) est l'une des proies préférées du desman des Pyrénées - Photos conservatoire d'espaces naturels (CEN) d'Occitanie
L'endroit où tu vis te convient-il ?
Parfaitement ! Je vis dans des rivières et autres cours d'eaux en occupant des terriers généralement creusés par d'autres espèces. Mon gîte est rudimentaire et se trouve à proximité immédiate du plan d'eau ou de la rivière. Je peux aussi utiliser d’anciens terriers creusés dans la berge ou des cavités de murs de pierres sèches comme, par exemple, dans les biefs de moulins. Il y a aussi les berges de cours d'eau qui me servent de gîte de repos ou de reproduction et avec l'élevage de nos jeunes. Cependant, mes congénères et moi restons uniquement au niveau des Pyrénées espagnoles, françaises et au nord du Portugal, notamment sur le territoire du parc national des Pyrénées ou de certaines réserves naturelles pyrénéennes.
En orange, les aires de répartition du desman des Pyrénées - CEN Occitanie
Vis-tu en groupe ?
Étant donné que la durée de vie est très courte soit entre 3 ou 4 ans, les individus qui vivent en couple restent fidèles durant toute leur vie. Les contacts entre partenaires n’ont lieu qu’au moment d’attirances réciproques du mâle et de la femelle. D'ailleurs, le desman femelle est plus grosse que le mâle. En dehors de ces périodes, toute approche à moins de cinq centimètres de deux individus [qui correspond à la zone de perception visuelle d’un desman] entraîne irrémédiablement des combats souvent très violents. La période de reproduction se situe entre les mois de février et mai voire en juin en fonction de la température, du climat et de l’altitude. Nous attendons les beaux jours pour garantir un taux de survie optimal à notre progéniture. Notre maturité sexuelle est atteinte vers 6 mois, la durée de gestation est de 30 jours et la femelle donne naissance à environ cinq petits par portée.
À quand remonte la découverte de ton espèce ?
Mon espèce Galemys Pyrenaicus a été décrite par le naturaliste français Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, en 1811, sous le nom initial de Mygale Pyreneica, à partir de spécimens qu'on lui avait adressé. Elle a été reclassée dans le genre Galemys par le naturaliste allemand Johann Jakob Kaup en 1829. C'est l'espèce type pour le genre. L'espèce vivante la plus proche au niveau biologique de mon espèce est le desman de Russie, vivant dans les bassins de la Volga, de l'Oural et du Don, soit un éloignement géographique de plus de 4.000 km. La découverte de mon espèce est donc très tardive pour les mammifères !
De quoi as-tu peur ?
De mes prédateurs ! Mes prédateurs sont encore assez mal connus mais ce sont les visons d'Amérique qui est une Espèce exotique envahissante (EEE), il y a aussi la loutre, la buse, la cigogne, le brochet, l'hermine, etc. D'autres espèces occasionnelles sont à craindre comme la chouette effraie, la chouette hulotte, les chats/chiens domestiqués et enfin les Hommes de part leurs activités, la plupart anthropiques, dans nos habitats naturels.
Tu parles d'activités anthropiques impactant ton espèce. Pourrais-tu développer ?
Il existe des menaces potentielles sur notre espèce, proche cousin de la taupe. Les principales menaces sont la destruction de nos habitats à savoir les berges des cours d’eaux qui nous servent d'abris pour le repos ou notre reproduction. L'endiguement et le bétonnage des berges sont aussi néfastes pour nous. Ensuite, nos terrains de chasse peuvent être perturbés par la modification des régimes de cours d’eau en lien avec l’hydroélectricité et des débits d’étiages trop faibles pour assurer une ressource alimentaire qualitative pour le desman des Pyrénées.
«Je suis passé de 'quasi-menacé' en 2019 au statut 'vulnérable'»
Le colmatage du substrat des fonds de cours d’eau ou la coupe des ripisylves contribuent aussi à dégrader notre ressource alimentaire. Ces perturbations provoquent des modifications dans la composition et la productivité des peuplements d’invertébrés aquatiques qui s’avèrent défavorables à nous, desman. Nos proies tendent alors à disparaître au profit d’espèces ubiquistes. Il existe également de nombreux 'points noirs' comme les tuyaux de captages et de rejets non équipés de crépines qui peuvent entraîner une mortalité par noyade. Enfin, les seuils et barrages contribuent également à réduire la continuité écologique des cours d’eau et isolent certains noyaux de populations
La prédation est également une menace importante avec le vison d’Amérique. Enfin, quelques cas de mortalité ont pu être constatés avec la pêche quand un desman se fait accrocher par un hameçon dans le dos. Mais cela reste anecdotique.
Effectivement ! D’ailleurs on parle que ton espèce est «protégée». Cela veut dire qu’elle est en voie d’extinction ?
Oui, c’est je suis une espèce menacée. Le statut du desman des Pyrénées a évolué sur la «liste rouge» des mammifères continentaux de France métropolitaine de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Je suis passé de «quasi-menacé» en 2019 au statut «vulnérable». En biologie et écologie, l'expression «espèce menacée» s'applique à toutes espèces risquant de disparaître à court ou moyen terme.
Une «espèce vulnérable (ou préoccupante)» est une espèce en péril car ses caractéristiques biologiques la rendent particulièrement sensible aux menaces liées aux activités humaines ou à certains phénomènes naturels.
Ton espèce est-elle actuellement étudiée par des chercheurs ?
Tout à fait et heureusement ! Cet état d’urgence que j’ai pu décrire a permis de mettre en œuvre des actions opérationnelles en faveur de la conservation du desman. Ces actions permettent la restauration de mon habitat. C’est d’ailleurs l’objet du projet LIFE+ desman (2014-2020) et du second Plan national d'actions (PNA) en faveur du desman des Pyrénées (2020-2030) coordonnés par le conservatoire d’espaces naturels (CEN) d'Occitanie. Le CEN essaie de travailler avec les chercheurs pour produire des résultats scientifiques solides qui leur permettront de proposer des outils de gestion conservatoires opérationnels pour les gestionnaires et usagers des cours d’eau pyrénéens.
Voici l'habitat typique du desman des Pyrénées - Photo Frédéric Blanc/CEN
Reste-il des interrogations que l’Homme peut avoir sur ton espèce ?
Oui, je suis un animal sur lequel il reste encore beaucoup de connaissances à acquérir. Ceci fait tout mon charme et participe à mon côté mystérieux. De plus, à ce jour aucune observation de nos jeunes n’a été faite. La littérature ancienne précise une maturité sexuelle du desman des Pyrénées qui est atteinte vers 6 mois, la durée de gestation est de trente jours et la femelle donne naissance à environ cinq petits par portée. Ces connaissances n'ont pas été vérifiées scientifiquement à ce jour. De plus, l’Homme se demande si j’ai de grandes capacités de déplacements terrestres. Je suis est actif toute l’année mais ils ne savent pas si nous faisons des migrations altitudinales ou bien si nous restons sur des zones d’eau qui peuvent être englacées. Les chercheurs ne sont qu’au début des investigations !!! Je reste donc discret sur ces éléments ...
Il y a-t-il des mythes ou des légendes autour de ton espèce ?
Contrairement à l’ours ou le Loup où l’on retrouve de nombreuses histoires, nous n’avons trouvé aucune trace historique de contes ou légendes autour du desman des Pyrénées. Aujourd’hui les humains ont compilé les dernières connaissances sur l’espèce dans un livre grand public qui retrace la quête d’un photojournaliste qui rêve voir le desman des Pyrénées et part à la rencontre des acteurs qui travaillent sur cette mystérieuse espèce.
Merci pour ce temps consacré à cette interview ! Pourra-t-on se recroiser facilement prochainement ?
Il faut savoir que je suis plus actif la nuit que le jour ; discret et assez difficile à observer car je suis très furtif. De plus, comme j’ai pu le dire, ma longévité est courte. Mais je reste très présent dans les rivières de montagne, donc pourquoi pas lors d’une prochaine randonnée !
Depuis 2009, plusieurs programmes de conservation en faveur du desman des Pyrénées se sont succédés.
Le programme LIFE + desman, cofinancé par la commissions européenne, a vu le jour en 2014 et propose d'améliorer de façon pérenne et démonstrative le statut de conservation du desman des Pyrénées sur onze sites Natura 2000 et à plus long terme à l'échelle des Pyrénées. Il s'est fixé plusieurs objectifs dont concillier la conservation du desman, le maintien des activités humaines et la prise en compte systématique de l'espèce dans la gestion des milieux aquatiques pyrénéens lors des phases de travaux mais également dans la gestion courtante des habitats. Life+ desman a permis d'intervenir sur six zones de refuge avec la réouverture de trois bras secondaires sur l'Aude (11) et la restauration de la fonctionnalité de trois petits affluents de l'Aston (09). Par ailleurs, plus de 900 m de cours d'eau répartis sur trois sites ont pu être réaménagés pour ramener de la diversité. Le desman a depuis été retrouvé sur certains de ces sites et les résultats pour les poissons et les invertébrés sont positifs. Exemples de restauration de cours d'eau : Photos LIFE + desman
Exemple de création de zone de refuge :
Photos LIFE + desman
Le 1er Plan national d'actions (PNA), entre 2009 et 2014, a permis de fédérer un réseau d'acteurs impliqués dans la conservation de l'espèce du desman, d'actualiser la carte de répartition de ses populations et de comprendre les facteurs du milieu influençant cette répartition. Le Conseil national de protection de la nature (CNPN) vient de valider la mise en œuvre du PNA II pour 2020-2030. Plusieurs actions PNA II ont été ainsi définies pour améliorer les connaissances, mener des travaux sur ses habitats et sensibiliser le grand public.
Le desman est présent sur les sites Natura 2000 : «Garonne, Ariège, Hers, Salat, Pique et Neste», situé sur l'entité «Garonne amont». Le document d'objectifs (Docob) Garonne amont possède différentes actions directes pour la préservation du desman. Par exemple, une fiche action vise à «favoriser les déplacements de la loutre et du desman» : pour éviter la destruction et la dégradation des habitats de cette espèce. L'objectif est de développer les synergies d'actions entre le PNA et l'animation Natura 2000 pour avoir des actions efficientes sur le desman. Pour cela, les animateurs Natura 2000 ont rendu un avis et fait des propositions lors de l'élaboration du PNA II pour que ces deux politiques puissent être complémentaires.
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